Attachée aux valeurs de la culture libre et des communs, l'association PiNG accorde une importante particulière au partage des savoirs et des savoirs-faire. C'est pourquoi elle met à disposition de tous et toutes de nombreux outils numériques, visant à développer des démarches de documentation, de production et de transmission des savoirs.
Quand bien même ces outils peuvent fonctionner avec une complémentarité forte et grandement faciliter et enrichir les projets collaboratifs de nos membres, la profusion des logiciels et plateformes proposées et mises aux services des bénévoles peut tendre à rendre cet écosystème peu lisible.
Ce manque de lisibilité peut s'accompagner de difficultés d'usages, notamment liées à la multiplicité des comptes utilisateurs induite par la diversité des outils : nécessité d'effectuer une nouvelle inscription pour accéder à chaque outil ou pertes d'accès à ses données liées à des pertes d'identifiants ou de mots de passes par exemple.
Cette question de la démultiplication des outils numériques dans nos usages quotidiens est une problématique forte des organisations contemporaines, qui n'épargne pas le monde associatif et ses bénévoles. Particulièrement depuis quelques années, où le recours aux outils numériques - bon gré mal gré - s'est accentué à grande vitesse.
En 2022, nous avons donc entamé un état des lieux des services numériques proposés à nos adhérent⋅es avec l'ambition d'interconnecter ces différents logiciels libres pour faciliter l'engagement à distance des bénévoles.
La première partie de cet article est un témoignage qui prend pour objet le cas concret de PiNG et décrit la situation dans laquelle nous nous trouvons actuellement.
La deuxième partie dresse un bilan général de cette démarche et propose pistes et conseils pour des structures associatives qui souhaiteraient outiller numériquement leurs bénévoles.
Partie 1 : Le cas de PiNG
Le concept de "digital workplace" est originellement un terme marketing, au périmètre relativement flou, mais qui sert néanmoins de dénominateur commun à plusieurs plateformes propriétaires qui proposent des services dont l'objectif est de fournir, notamment aux entreprises privées "un ensemble d’outils informatiques cohérents, formant un environnement numérique, donc accessible par ordinateur, smartphone et tablette" ; "un endroit centralisé dans l’organisation où les collaborateurs peuvent lire, écrire et partager des informations, et accomplir leur travail, quel que soit l’endroit où l’appareil est utilisé" ¹
Nous souhaitions nous inspirer de cette idée, dans le but de simplifier l'identification et l'appropriation de l'ensemble des logiciels proposés par PiNG, pour faciliter l'engagement de nos bénévoles dans des démarches de documentation
État des lieux
Pour cet objectif, la première étape était de dresser la liste des logiciels auxquels l'association fournit un accès à ses bénévoles et des besoins auxquels ils répondent :
- Fablabo.net, créé en 2011, ce site est le wiki de documentation technique de PiNG, il héberge notamment des documentations de projets, des tutoriels et des exemples de réparations réalisées par les adhérent⋅es de l'association dans les ateliers de PiNG, ainsi que la documentation technique concernant le fonctionnement des machines de ces lieux. Afin d'en faire profiter le plus grand nombre, Fablabo est ouvert à l'inscription de manière complètement libre. Ce wiki est le site internet le plus consulté de l'association et rayonne à l'échelle nationale, un projet réalisé en Loire-Atlantique pouvant inspirer bien au-delà.
- La plateforme d'apprentissage en ligne moodle.pingbase.net, basée sur le logiciel libre Moodle, et ouverte en 2020. Sur cette plateforme, nous hébergeons des modules d'autoformation en ligne, accessibles gratuitement et diffusés sous licence libre : sur le thème du design solidaire, sur la reconnaissance ouverte des apprentissages, ou encore sur le fonctionnement de machines à commandes numériques.
- La plateforme de vidéo medias.pingbase.net, réalisée avec le logiciel libre Peertube, développé par Framasoft, véritable alternative décentralisée à la plateforme Youtube de Google.
- Mattermost, ce service de discussion opensource est l'espace de chat de notre communauté : il y est possible de rejoindre une discussion en cours ou de créer un canal dédié sur un sujet. Depuis 2020, particulièrement quand nos lieux se trouvaient fermés, il a été très utile afin de maintenir au quotidien les liens et les échanges entre les membres de l'association. C'est aussi un espace de veille collaborative autour de nombreux thèmes liés aux transitions : tiers-lieux, agriculture urbaine, low tech, réparation, culture libre...
- bibli.pingbase.net Un SIGB (Système d'information et de gestion de bibliothèque), afin de faciliter le prêt des documents de l'espace ressources de l'association, un fond documentaire de plus de 500 références autour des cultures numériques.
Un compte utilisateur et un mot de passe pour les gouverner tous : l'authentification unique
Pour interconnecter les logiciels précédemment cités, nous avons envisagé la mise en place d'un système d'authentification unique (single sign-on). Ceci permet d'utiliser une seule paire d'identifiant et mot de passes pour accéder à une variété de services. Notre première intuition était d'utiliser, le logiciel libre Keycloak et de mobiliser le protocole OpenID Connect, protocole open source au cœur de France Connect, le fournisseur d'identité numérique du service publique français. Du point de vue des utilisateurs, cela permet de faire apparaitre sur les écrans de connexion de chaque service relié un bouton "connexion avec Keycloak" (de la même manière que les boutons de connexion avec un compte Facebook, Google déjà courants...)
Capture d'écran d'un bouton Keycloak utilisés sur le logiciel Nextcloud, crédits Aukfood
Cependant, après étude de faisabilité, il est apparu que les logiciels que nous utilisons ne permettent pas tous la connexion avec OpenID Connect, ou alors selon certaines restrictions. C'est notamment le cas pour notre messagerie instantanée Mattermost : alors que nous auto-hébergeons la version "communautaire" du logiciel, OpenID Connect n'est disponible que pour la version "professionnelle", dont le coût est de 10$ par utilisateur et par mois. Une tarification hors de notre portée pour une communauté associative qui regroupe 320 utilisateurs. Pour l'intégration de notre système de gestion de bibliothèque (PMB), une prestation de développement aurait aussi été nécessaire.
Après ces recherches, il ressort qu'il est difficile d'établir un écosystème d'outils cohérents en partant d'une multiplicité de solutions dont nous sommes déjà utilisateur⋅ices. C'est typiquement un cas de dépendance au sentier. En partant d'une page blanche, cette contrainte aurait pu être ajouté d'emblée à un cahier des charges (nous reviendrons sur ce sujet en partie 2), ce n'est néanmoins pas notre cas. Dans le contexte financier de PiNG, déjà en recherche de financement d'investissement pour le lancement de son nouveau lieu, Hyperlien, nous préférons abandonner la mise en place de cette fonctionnalité, du moins pour le moment.
Rendre visible et accessible : le magasin d'application
Pour rendre visible et accessible des logiciels dans un espace numérique unifié et cohérent, la solution courante, popularisée par les tablettes et smartphones, est le modèle du "dashboard" ou du magasin d'applications. À l'origine, nous envisagions d'utiliser le logiciel libre Dashy comme solution technique permettant de créer un point d'accès unique à l'ensemble des applications.
Capture d'écran du logiciel Dashy
Cela faisait néanmoins ajouter un outil supplémentaire à notre palette quand notre objectif initial était la simplification... Nous avons finalement opté pour un moyen plus direct : créer une section dédiée "boîte à outils des adhérent⋅es" directement sur le site internet de l'association. Après tout, c'est en général le point d'entrée lorsque l'on cherche des informations à propos de PiNG sur internet !
Capture d'écran de la boîte à outils des adhérent⋅es de PiNG.
Partie 2 : En partant de zéro
Comme évoqué plus haut, notre premier conseil à destination d'une association qui voudrait fournir des services numériques à ses bénévoles serait de partir de ses besoins, sans oublier d'intégrer la question de la complémentarité des outils et de leur interconnexion dès le début de la réflexion et de l'écriture d'un cahier des charges. Au sujet de l'analyse du besoin, nous recommandons l'article "Choisir un outil numérique, comment faire ?" par L'Établi Numérique.
En nous appliquant nous même ce conseil, nous aurions certainement choisi une liste de logiciels un peu différente dès le départ : Par exemple en remplaçant notre messagerie Mattermost par Rocketchat, son concurrent, qui permet l'intégration d'OpenID Connect en version communautaire.
Du côté des solutions techniques, à partir d'une table rase, construire son outillage numérique à partir de YunoHost nous semble être une option intéressante. Yunohost est un système d'exploitation libre qui vise à simplifier l'administration d'un serveur et à démocratiser l'auto-hébergement. En plus de faciliter la gestion des serveurs pour les non expert⋅es (installations de logiciels, mises à jour et sauvegardes en quelques clics, via une interface graphique), YunoHost dispose d'un très vaste catalogue de logiciel, d'une solution d'authentification unique, et une d'une interface utilisateur⋅ice claire et pratique. L'équipe de YunoHost a même rédigé une page détaillant les cas d'usages pour les organisations à but non lucratif
Capture d'écran de l'interface utilisateur⋅ices de Yunohost, chaque bloc est un logiciel auquel l'utilisateur⋅ice à accès.
Une autre piste pourrait se trouver du côté du logiciel Nextcloud, concurrent libre et efficace de la suite logicielle proposée par Google (Drive, Doc...). C'est notamment la solution retenue par l'association Framasoft pour proposer son service gratuit Frama.space, un environnement de travail collaboratif destiné aux associations et collectifs militants.
Capture d'écran de l'interface de Frama.space.
¹ https://www.arawa.fr/2021/08/31/quest-ce-que-la-digital-workplace-opensource/
² https://partenaires.franceconnect.gouv.fr/fcp/fournisseur-service
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