À l'occasion de l'exposition Ciencia fricción (Science-friction) à Barcelone, Julien Bellanger a posé pour PiNG quelque question à sa curatrice, Maria Ptqk.
Bonjour Maria, peux-tu te présenter et nous raconter comment tu es devenue curatrice ?
Maria Ptqk : Je m'appelle Maria Ptqk, je travaille depuis l’année 2000 dans le domaine des arts où j’ai fait un peu de tout : administration, production, communication, recherche de financements, écriture, conception de projets… En même temps, depuis un certain nombre d’années, je m’intéresse de plus en plus aux croisements des pratiques artistiques et les sciences naturelles, ce qui est devenu en quelque sorte mon champ d’expertise. Donc c’est ce parcours-là qui m’a naturellement amené à travailler comme curatrice. Mais, de façon générale, je me considère plutôt comme une chercheuse indépendante (sans lien avec l’université) et comme une “cultural worker” (je ne connais pas la traduction exacte en français) interdisciplinaire.
Tu es commissaire de l'exposition Ciencia fricción au Centre de Création Contemporaine de Barcelone, peux-tu nous en dire quelques mots ? Pourquoi ce terme de "Friction" ?
L’exposition s'inspire de deux penseuses contemporaines fondamentales : Lynn Margulis, avec sa contribution à la théorie de la symbiose; et Donna Haraway, biologiste et philosophe qui a beaucoup travaillé sur les rapports entre espèces, humains et non-humains. La pensée symbiotique de Margulis nous confronte á l´évidence que touts les organismes vivants sont interdépendants, entremêlés dans des écosystèmes qui sont intégrés les uns dans les autres. Cela veut dire que l’évolution c’est toujours une co-évolution, un “devenir-avec” comme dirait Haraway. Ça veut dire aussi qu’il n’y a pas d’espèces supérieures et que la prétendue supériorité humaine est en fait une construction culturelle, une forme d'idéologie. Voici les frictions auxquelles fait référence l’exposition : comment nous reconstruire en tant qu’humains en prenant compte de ces évidences scientifiques.
ON a du mal a se projeter dans le temps, la question de la mémoire, de l'archive, des récits... En quoi le rapport aux non-humains ouvre-t-il une symbiose regénératrice vers un futur désirable ?
C’est une grande question. D’après les retours que je reçois des personnes qui visitent l’exposition, j’ai l’impression que la pensée symbiotique, justement parce qu´elle nous place au milieu de rapports foisonnants entre espèces, dans lesquels nous ne sommes pas une espèce exceptionnelle, est en fait assez libératrice. Elle nous déplace et donc déplace aussi l’idée que la vie sur Terre serait limitée à la survie de l'espèce humaine. L'extinction massive d’espèces en cours est une catastrophe, il n’y a pas de doute là-dessus. Mais heureusement la vie terrestre va bien au-delà de nous.
Une anecdote sur l'exposition ? On pourra la voir en france ?
Plein d’anecdotes. L’exposition touche des gens avec des profils très différents : je reçois beaucoup de mails d'artistes ou de chercheurs intéressés par les questions que soulève l’expo mais j’ai aussi été interpellée, par exemple, par un groupe citoyen du désert d’Atacama au Chili qui veut travailler avec les organismes extrémophiles de son territoire ou par un spécialiste dans des méthodologies d’innovation pour entreprises et organisations de commerce. Les changements de paradigme, visiblement ça bouscule tout le monde! Il n’y a rien de prévu en France, mais j’en serais ravie.
Crédit photo de couverture : CCCB - Ciencia fricción. Vida entre especies compañeras.
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