Début juillet 2025, Clémence Curty, chargée de projet à PiNG, a participé au Summerlab Artlabo Retreat, une résidence collective co-produite par ART2M/Makery.info, La Gare, Centre d’art et de design à Brest, Kerminy, lieu d’agriculture en arts, et la Société d’Art Mécatronique de Suisse.
Alors que la France a très chaud et vit un gros pic de chaleur, nous nous retrouvons dans le Finistère nord, relativement épargnés, pour expérimenter durant une semaine, en résidence collective. Nous sommes une quarantaine de personnes, artistes visuel⋅les et sonores, musicien⋅nes, designers, scientifiques, chef⋅fes, étudiant⋅es, issu⋅es de plusieurs pays (France, Allemagne, Suisse, Pays de Galles, Corée du Sud, Japon,) réuni⋅es pendant une semaine sur l’ile de Batz à la colonie du phare.
J'arrive avec 2 intentions :
- vivre le format de la résidence collective, observer le cadre posé, les propositions faites par chacun⋅e afin de m'inspirer pour l’organisation d’un potentiel summerlab, l'été prochain, par PiNG.
- me laisser porter par les différentes expérimentations et pourquoi pas expérimenter à mon tour autour de l’image imprimée (mon domaine de prédilection).
Pour me situer, je suis habituée aux rencontres collectives dans un temps et espace donné, de par la participation à différents chantiers participatifs, rencontres thématiques, et des temps collectifs de résidences autour de l'image imprimée.
"Thématiques de travail"
Cette semaine de résidence s’ancre sur le territoire maritime de l’ile de Batz. Plusieurs thématiques ont été annoncées en amont :
- Art sonore & bricolage d'instruments
- Wokrshop autour de biomatériaux, recherches sur l'algue comme matériau textile
- Plantes sauvages comestibles et algues, cueillette et cuisine, design culinaire
- Documentation écrite et photographique, tournage vidéo et podcast
- Recyclage et réutilisation des déchets de l'île, fablab mobile, artisanat
- Corps, mouvement et danse
De nombreuses personnes sont arrivées avec une intention ou un travail en cours, collectif ou individuel. Les premiers jours permettent de faire connaissance, de se lancer dans des premières recherches, expérimentations. Seule programmation annoncée d’emblée : une balade sur les côtes pour la cueillette d’algues le premier jour, puis une 2e sur les plantes sauvages et comestibles au bord du sentier côtier avec un ethno-botaniste. Le reste est improvisé.
Au fur et à mesure de la semaine, de nouvelles propositions collectives émergent : fabrication d’un pré-amplificateur DIY, concert de galets au bord de l’océan improvisé et coordonné à la fois, écoute collective de sons enregistrés sur le territoire, workshop sur le bioplastique, initiation au tataki zomé (technique d'impression japonaise qui consiste à marteler des végétaux - fleurs ou feuilles - entre deux tissus pour fixer leur forme et leurs couleurs dans la fibre du tissu), projection d'un film documentaire sur la culture de l’algue nori au Japon : Umi No Oya (Mère de la mer), réalisé par Ewen Chardonnet et Maya Minder, ou encore cuisine aux inspirations japonaises et coréennes.
Ayant déjà une pratique autour de l’image imprimée, je me greffe au groupe sur le bioplastique et expériences autour des algues.
L'algue comme objet de recherche
Nous constituons progressivement un groupe exclusivement féminin autour des algues. Je fais la rencontre de plusieurs artistes & designers ayant déjà travaillé cette matière vivante :
- Violaine Buet : designer, tient la manufacture des algues, à Auray
- Elisa Chaveneau & Noémie Vincent-Maudry, artistes diplômées de TALM Le Mans
- Hanaé Laporte–Bruto, étudiante
- Maya Minder : artiste-designer culinaire, à la croisée d'installations vidéos, performances
- Corinna Mattner : fondatrice de la marque Romy Hood, engagée dans l'upcycling textile et le mouvement Fashion Revolution
- Anaïs Waldher Untersteller : étudiante en design, à l'école Boulle. Elle a travaillé l'algue en maroquinerie et a créé une gamme de produits de bureau uniquement en algues, Heritaj
Tuto de préparation de l'algue pour être utilisée par la suite
L'algue est soit ramassée échouée sur la plage, sèche ou encore humide, ou récoltée vivante et coupée avec des ciseaux, l'idéal étant de se servir raisonnablement.
Une fois récoltée, l’algue est préparée en étant trempée pendant 24h environ dans un bain d’eau et de glycérine (quantité 1:1 idéalement mais cela peut représenter une grande quantité de glycérine, donc possibilité de mettre moins). La glycérine permet à l'algue de conserver une part de son humidité et d'éviter qu'elle se rigidifie.
Parmi les pratiques observées et expériences menées tout au long de la semaine, dans notre atelier, il y a eu :
- des algues utilisées comme matériau textile, cousues à la main ou à la machine à coudre pour faire du vêtement et de la maroquinerie
- des algues brûlées dans une boîte au feu de bois afin d’obtenir du fusain pour dessiner
- de la fabrication de feuilles de bioplastique à partir d’agar-agar (acheté en poudre en amont du workshop) et de glycérine, avec inscrustration d’algues dedans.
- de la broderie sur algues afin de constituer une forme de cartographie marine
- une installation de galets enveloppés dans des algues
Par ailleurs, côté cuisine, les algues ont été préparées à toutes les sauces : avec des pommes de terres roties pour la dulse (Palmaria Palmata), en salade avec des tomates pour les haricots-spaghettis de mer (Himanthalia Elongata) ou encore de la laitue de mer (Ulvea Lactuca).
L'algue comme objet et sujet photographique
Dans ce contexte maritime, je me plonge tout naturellement dans l’univers des algues au fur et à mesure de la semaine. Enfant, comme beaucoup, je n’étais guère attirée par elles, pour ne pas dire effrayée. Je les ai longtemps considérée comme hostile, m’en éloignant le plus possible sur les plages, les trouvant sales, espérant une plage sans algues.
Après ma première balade avec Edouard Bal, ethno-botaniste, sur leur potentiel et richesse, je décide de partir directement à leur rencontre, en nageant dans une eau bretonne bien fraîche. J’y rencontre un monde sous-marin que je méconnaissais profondément. J’avais pourtant vu les travaux incroyables menés par Nicolas Floc’h sur le monde sous-marin, notamment Initium Maris – le début de la mer mené notamment aux alentours des îles bretonnes. Je ne m’attendais à en retrouver une fraction à l’ile de Batz, à marée basse.
Je remonte à la surface avec quelques bonnes images, dans l’idée de tenter de les imprimer sur des algues elles-mêmes, à l’aide de cyanotype.
- J'enduis ma solution cyanotype sur les algues (préparées en amont à la glycérine) au pinceau. Je les laisse séchées dans l'obscurité. Puis j’expose au soleil mon morceau d'algues recouvert de solution photosensible, sur lequel je pose au choix des objets, d'autres algues, ou une photographie imprimée sur du papier calque, en noir et blanc, négatif.
- Après plusieurs échecs, dû à un temps trop long d’exposition, j'ai la joie de voir de premières images imprimées sur les algues. La météo plus capricieuse en fin de semaine ne me permet pas d'aller plus loin, mais les premières expériences sont prometteuses ! Il va falloir récolter plus d’algues, à l'avenir. De préférence, des algues déjà échouées, pas question de les cueillir, (sauf pour les manger car cela garantit leur fraicheur). Ensuite, il faut idéalement qu’elle ait séchée et se soit décolorée naturellement (du marron au blanc), afin de faciliter l'impression au cyanotype.
Après une semaine bien dense, retour à Nantes riche de ces nouvelles expériences et rencontres!
ArtLabo Retreat fait partie du Feral Labs Network et du programme européen Rewilding Cultures.
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